Chaque guerre entraîne de multiples souffrances. Cela a été mis en exergue une fois de plus il y a quelques semaines, lorsqu'un tableau spolié durant la Seconde Guerre mondiale a été décroché du mur des Musées royaux des Beaux-Arts à Bruxelles. La restitution de la nature morte "Fleurs" du peintre Corinth est un exemple de l'importance des archives pour les citoyens en quête de justice et leurs proches. Ce cas met également en lumière le rôle des institutions d'archives et des archivistes en tant que mémoire de la société, un élément important du fonctionnement d'une société transparente et démocratique.
L'œuvre en question, une nature morte représentant des fleurs, réalisée par l'artiste allemand Lovis Corinth en 1913, appartenait à l'époque au couple juif Gustav et Emma Mayer. Ceux-ci ont fui l'Allemagne en 1938 et ont séjourné en Belgique pendant un an avant de passer la frontière avec la Grande-Bretagne. Leurs effets personnels et leur collection d'art sont toutefois restés dans un entrepôt à Bruxelles, tombés entre les mains des forces d'occupation allemandes.
Avec la restitution de la nature morte "Fleurs" de Corinth, l'une des 30 peintures pillées de la collection Mayer est à nouveau en de bonnes mains. Ce chiffre est typique du vol d'art systématique et à grande échelle pendant l'Occupation : en quelques années seulement, des centaines de milliers de peintures, de sculptures, de livres et de meubles anciens ont été transportés en Allemagne ou en Autriche.
Après la Libération, le gouvernement belge était mal équipé pour mener à bien la restitution des œuvres d'art spoliées. La récupération des biens dits « culturels » (œuvres d'art, archives et bibliothèques) a été particulièrement difficile en raison de la méconnaissance du réseau à l'origine du vol d'œuvres d'art, de l’engagement tardif de spécialistes et du contrôle quasi inexistant des biens culturels récupérés dans les pays voisins. En raison de tous ces facteurs, les autorités belges n'ont pu retrouver que quelques œuvres d'art pillées. En outre, le sort de nombreux anciens propriétaires était inconnu. C'est ainsi qu'un certain nombre d'œuvres récupérées, dont la nature morte de Corinth, se sont finalement retrouvées dans des musées belges. Dans le cas du tableau susmentionné, une correspondance fructueuse entre deux bases de données a permis de faire avancer le dossier.
Le monde numérique offre de nouvelles perspectives pour démêler peu à peu le réseau international très complexe qui se cache derrière le vol d'art par les nazis. Les moteurs de recherche et les bases de données performants partent de sources historiques, les archives. Plus de trois quarts de siècle après la guerre, les documents d'archives sont les témoins silencieux des injustices passées. Et tout comme le vol systématique d'œuvres d'art par le régime nazi a traversé les frontières nationales, des recherches archivistiques poussées et souvent internationales sont nécessaires pour faire la lumière sur ce passé.
En ce qui concerne le tableau de Lovis Corinth, des chercheurs allemands spécialisés ont eu recours à diverses sources conservées aux Archives générales du Royaume : les dossiers des étrangers de la famille Mayer concernant leur séjour en Belgique, une copie de l'inventaire des biens pillés établi par les forces d'occupation en 1942 et, enfin, les formulaires de déclaration de restitution d'après-guerre, avec une description détaillée de la nature morte de Corinth.
La restitution du tableau en question est un exemple classique de l'importance des archives historiques pour les citoyens et leurs proches en quête de justice. Ce cas met également en lumière le rôle des institutions d'archives et des archivistes en tant que mémoire de la société, un élément important du fonctionnement d'une société transparente et démocratique.