Archives de l'État en Belgique

Notre mémoire à tous !

Menu

Trois générations de magiciens d’Oz(nowicz) : du théâtre de marionnettes d'Anvers avant-guerre à des millions de spectateurs dans le monde

Texte petit  Texte normal  Texte grand
02/07/2024 - Recherche - Archives générales du Royaume

Le nom « Oznowicz » ne vous dit peut-être rien, mais « Oz », lui, ne vous dit-il pas quelque chose ? Frank Oz, plus précisément. Et si « Frank Oz » sonne encore étrangement à vos oreilles, Bart, Grover et Macaron le glouton de Sesame Street, Piggy et Fozzie du Muppet Show ou Yoda, le Grand Maître Jedi de la saga Star Wars, vous rappelleront sans doute quelque chose. Frank Oz (1944) – de son vrai nom Oznowicz – est aujourd'hui l'une des personnalités les plus renommées de la télé et du cinéma américains. Frank Oz est parti à la recherche de ses racines en Europe ces dernières années, ce qui a incité Aline Thomas, chargée du projet WOMENEXILE, à vérifier ce que les Archives de l'État conservent sur la famille Oz(nowicz). Une quête passionnante !

Connu comme acteur et réalisateur, c'est surtout en tant que marionnettiste qu’il est passé à la postérité.

Frank Oz est né à Hereford, en Angleterre, mais son père – le juif néerlandais Isidore Oznowicz, marié à la Belge Francisca Ghevaert – a vécu à Anvers dès le début des années 1920. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le couple s’enfuit vers la France. En 1942, les parents de Frank Oz arrivent en Angleterre. Isidore Oznowicz y rejoint la Brigade royale néerlandaise « Prinses Irene ». Les « Engelandvaarders », comme on les appelait, étaient des Néerlandais qui s'étaient rendus clandestinement en Angleterre après la capitulation pour y rejoindre les forces alliées. Lorsque Frank Oz a six mois, en 1945, les quatre membres de la famille (en 1942, le petit frère de Frank, Ronald, était né) retournent à Anvers. Cinq ans plus tard, la branche Oznowicz-Ghevaert traverse l'océan pour s'installer définitivement en Amérique. C'est là que la carrière de Frank Oz, marionnettiste de renom, prendra son essor des décennies plus tard. 

Il y a quelques mois, le journal flamand De Standaard a publié un reportage ("Hoe Hitler via Antwerpen naar Amerika werd gesmokkeld" (03/02/2024)) par Guus Valk, d’abord publié dans le journal néerlandais NRC (26/01/2024)) dont le point de départ était un objet très particulier : une marionnette d'Hitler. Cette marionnette, vêtue d'une chemise brune, d'un brassard avec une croix gammée nazie, de la moustache et de la coupe de cheveux typiques d'Hitler – et donc indubitablement une caricature du dictateur nazi – a été fabriquée dans les années 1930 par Isidore Oznowicz et Francisca Ghevaert. Personne ne peut dire aujourd'hui s'ils ont réellement mis en scène cet « acteur » dans un spectacle de marionnettes à Anvers. Ce qui est certain, c'est que le père Oznowicz s'est empressé d'enterrer la poupée d'Hitler dans son jardin lorsque l'armée allemande s'est approchée d'Anvers, en mai 1940. Après le retour d’exil de la famille – à l'été 1945 – Isidore a déterré la poupée. Finalement, « Hitler » a voyagé avec lui en Amérique où Frank Oz a découvert la marionnette des années plus tard dans le grenier de sa maison d'enfance.

Utilisant la poupée d’Hitler de ses parents comme boussole, Frank Oz a passé ces dernières années à rechercher ses racines en Europe. Objectif : retrouver les traces de l'expérience traumatisante traversée par sa famille – car il ne fait aucun doute qu'elle a également marqué sa vie (et peut-être même sa carrière). Frank Oz s'est notamment rendu chez nos voisins du Nationaal Archief à La Haye, où il a consulté des dossiers de membres de sa famille. Il ne s’est pas encore rendu aux Archives Générales du Royaume. Comme ses ancêtres ont résidé à Anvers (et brièvement à Bruxelles) pendant l'entre-deux-guerres et l'immédiat après-guerre, les dossiers de la Police des étrangers conservés par les Archives Générales du Royaume (https://www.arch.be/) constituent un lien indispensable pour reconstituer la trajectoire du clan Oznowicz avant et après la guerre.

Nous avons pu jeter un coup d'œil aux dossiers de la Police des étrangers de trois membres de la famille : Samuel, Isidore et Mirjam Oznowicz. Les informations contenues dans ces dossiers sont essentiellement de nature administrative (avis d'arrivée et de départ pour des changements d'adresse ; bulletins de renseignements), mais comprennent également deux procès-verbaux sur des broutilles et des rapports faisant état de probables activités politiques.

Samuel Oznowicz (1888-1976)

Grand-père de Frank Oz. Fils de juifs russes, il naît à Amsterdam. Il épouse Rebekka Bonettemaker (1886-1976) en 1910. Leurs trois enfants (Mirjam, Jenny et Isidore) sont nés à Amsterdam. En 1923, la famille déménage à Anvers. Rebekka et Samuel, dessinateur de profession, y travaillent dans le secteur diamantaire.

La Police des étrangers surveille Samuel : il est soupçonné de participer à des réunions et manifestations socialistes et communistes. Des surveillances répétées n'aboutissent pas à des preuves solides. Cependant, Samuel Oznowicz est repéré le 20 février 1939 en présence de Harry Paul Schulze (1899-1978). Les agents repèrent cet écrivain-journaliste allemand – qui opère sous le pseudonyme de Harry Wilde et est connu pour son activisme communiste – lorsqu'il entre dans la maison de Samuel Oznowicz. Wilde n'est pas n'importe quel écrivain : il a déjà travaillé comme secrétaire personnel du célèbre auteur allemand, anarchiste et activiste d’anti-guerre Theodor Plievier. Son dossier d'étranger indique même qu'il aurait travaillé pour Thomas Mann – une information que nous n'avons pas pu vérifier. Wilde appartenait cependant avec certitude au cercle restreint de Klaus et Golo Mann, deux fils de l’écrivain renommé. Après l'incendie du Reichstag en 1933, Wilde a été contraint de fuir l'Allemagne et de vivre en exil, entre autres en Belgique.

D'autres documents figurant dans le dossier d'Oznowicz senior indiquent également des contacts de Samuel avec des Belges et des émigrés actifs dans des mouvements de gauche. On a l'impression que Samuel Oznowicz a réussi à rester sous les radars de la police des étrangers. Après l'exil de la famille vers la France et l'Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale, Samuel et Rebekka se sont de nouveau installés à Anvers. Ils décèdent en 1976, à quatre jours d'intervalle.

Isidore Oznowicz (1916-1998)

Père de Frank Oz. Vit à Anvers depuis 1923. Comme son père, il est dessinateur professionnel, étalagiste et marionnettiste. En tant que charpentier, il manie le bois avec dextérité, ce qui lui permet de fabriquer des marionnettes. En 1939, il épouse la couturière belge Francisca Ghevaert. Ensemble, ils fabriquent la poupée d’Hitler (Isidore le cadre en bois, Francisca les vêtements), qui disparaît sous terre pendant les années de guerre.

Mirjam « Miry » Oznowicz (1911-1974)

Tante de Frank Oz. Travaillerait comme secrétaire de l'homme politique socialiste Paul-Henri Spaak au printemps 1940. Mariée en 1933 à Albertus « Bert » van Kerkhoven – journaliste flamand, pionnier de la radio et plus tard directeur de théâtre et conseiller communal socialiste à Anvers. Par ce mariage, elle acquiert la nationalité belge :  son dossier individuel d’étranger est clôturé. Au milieu des années 1930, Miry Oznowicz devient présidente des Femmes Prévoyantes Socialistes (PFS) de l'arrondissement d'Anvers. Avec Vogelina Dille-Lobe (à qui nous avons consacré un billet à l'occasion de la Journée internationale des femmes l'année dernière) elle écrit pour le magazine « Vrouwenfront. Maandblad der jonge vrouw » et publie des articles sur l'émancipation des femmes et le mouvement féministe. Pendant les années de guerre, elle divorce de Bert Van Kerkhoven. Après la Seconde Guerre mondiale, Miry Zoete-Oznowicz devient journaliste à la Belgische Radio- en Televisieomroep (BRT). Elle est également membre du Conseil national des femmes belges (CNFB).   

En tant que militante socialiste et féministe, le cas de Mirjam Oznowicz a été intégré dans la base de données créée dans le cadre du projet. Cette base de données rassemble les femmes qui ont vécu en exil politique ou qui ont été politiquement actives en tant qu'étrangères en Belgique entre 1918-1958.

Pour en savoir plus

 
www.belspo.be www.belgium.be e-Procurement